Le vent froid souffle sur mon visage. Je ferme les yeux, essayant de rendre ce moment éternel. Ici, survolant au-dessus des bâtiments Haussmannien de Paris, je me sens libre. Je suis loin de mes devoirs de maths ou latin, loin de mon affreuse professeur de danse, et loin des disputes entre mes parents que j’entends tard le soir, blottis sous ma couette. Je lève mes bras en jubilation car pour un instant dans ma vie, je n’ai pas un seul souci. Regardant au- dessous de moi, je souris au fait que je suis la seule consciente dans un Paris ensommeillé—mon réveil strident sonne et soudain, je retombe sur terre.
Les chiffres rouges qui clignotent sur ma table de chevet indiquent qu’il est 6h45 du matin. Doucement, je sors ma tête de dessus la couverture pour regarder par la fenêtre. Je ne suis pas surprise, bien sur qu’à Paris mi-février il fait encore noir si tôt le matin. Mon esprit erre vers ma meilleure amie Joëlle qui vit en Californie. Je suis sûre que là-bas, le soleil brille dehors à cette heure. Joëlle se réveillera et ira sauter dans sa piscine qui sera déjà réchauffée pour elle par les rayons du soleil. Je repousse ma pensée, maintenant n’est pas le moment pour avoir des fantasmes de la belle vie en Californie. À contrecœur, je sors du lit pour commencer ma journée.
Dans la salle-de-bain, j’enfile mon uniforme scolaire et prends mon temps pour appliquer un peu de blush et mascara. Une fois avoir terminé de faire ma toilette je rejoins ma famille dans la cuisine. Maman et Joséphine (ma petite-soeur) sont déjà en train de déguster leur pain avec de la confiture de châtaigne quand je m’assois sur la dernière chaise libre à table. Oui, ce n’est pas une erreur nous avons seulement trois chaises. La quatrième chaise est partie quand mes parents se sont séparés il y à trois mois car ils avaient “perdus de sentiments,” mais je sais très bien qu’il y avait une raison plus importante. Maintenant, Papa vit dans un petit appartement dans le 9ème arrondissement, et on le visite rarement car il est si loin du 6ème. Ces jours-ci, les conversations à table sont très limitées, à moins que ce soit Joséphine qui babille sur sa nouvelle passion pour les chevaux. Quand j’ai fini mon petit-déjeuner, j’embrasse rapidement Maman, j’enfile mes chaussures et prends mon sac-à-dos avant de sortir par la porte.
En quittant mon immeuble, je sens une bouffée d’air fraîche frapper mon visage. Il est déjà 7:45 et je cours vers l’arrêt de bus. Dans ma poche, mon portable sonne, c’est sûrement mon amie Annie qui me prêche le retard. Cependant, quand j’arrive à l’arrêt, à bout de souffle, Annie n’est pas là. Surprise, je sors mon téléphone pour lire mes messages et j’apprends qu’il y a une grève aujourd’hui. Voilà encore que je cours, mais cette fois-ci vers le métro le plus proche. Je retrouve Annie qui m’attend à l’entrée et on marche jusqu’au quai de métro, échangeant des rires et des confidences le long du chemin. Le trajet en métro est ponctué de discussions sur les cours et nos aspirations pour l’avenir.
Arrivée à l’école, je retrouve la routine familière de mes études qui s’agit de passer d’une classe à l’autre, me concentrer sur les mots du professeur, accumuler des devoirs et participer aux discussions animées de mes camarades. Après une journée bien remplie, je me dirige vers mon studio de danse, une passion qui me permet de m’évader et de me détendre. Cela sera le cas, bien sûr, si ce n’était pas Madame Beauchamp qui enseignait le ballet. Dès que j’arrive en cours, elle me reproche d’avoir mal fait mon chignon et met cela sur le compte de mon impatience et ma tendance à ignorer les petits détails. Pourtant, quand la musique démarre et que les élèves commencent à danser, toutes pensées de Madame Beauchamp disparaissent et je me laisse suivre le rythme.
De retour chez moi, je prends ma douche et j’enfile un tablier pour me mettre aux fourneaux. Pendant que je coupe les légumes, j’aide Joséphine à faire ses devoirs, veillant qu’elle les ait terminés avant l’arrivée de ma mère. Avant, c’était Papa qui faisait la cuisine et aidait Joséphine avec l’école mais depuis le divorce, cette responsabilité tombe sur mes épaules. Je sais que je devrais être reconnaissante, et je le suis, mais parfois je voudrais que mes parents aient pensé à Joséphine et moi avant de se séparer car la vie est beaucoup plus difficile maintenant. Le problème n’est pas seulement que je dois cuisiner et faire le ménage, mais être une famille unie me manque tout simplement. J’ai l’impression que c’était hier quand nous passions des journées entières à jouer à des jeux de société dans le salon.
Après le dîner, je m’installe dans ma chambre pour me plonger dans mes devoirs. Je suis au milieu de mes traductions de latin quand mon téléphone sonne. Dès que je regarde le nom de l’appelant, un sourire s’étend sur mon visage — c’est Joëlle. J’accepte l’appel vidéo et je lui demande comment s’est déroulée sa journée. J’écoute attentivement tandis qu’elle partage les hauts et les bas de sa journée, parlant des moments de rire ainsi qu’aux défis surmontés. À mon tour, je partage l’histoire de mon rêve, le silence gênant à chaque repas de famille, la grève, les commentaires de Madame Beauchamp et mes difficultés avec mes parents divorcés. La conversation se prolonge et on commence à parler de choses aléatoires, oubliant complètement l’océan qui nous sépare. Quand la conversation touche à sa fin, nous nous promettons de nous retrouver bientôt, imaginant déjà les aventures que nous partagerons ensemble.
Après avoir raccroché, je me laisse envelopper par le sommeil. Dans mon lit, je pense à l’importance de cette amitié qui traverse les frontières. Je réalise à quel point Joëlle est une source de soutien, spécialement pendant ce temps de difficultés avec mes parents. Elle est toujours là pour moi et je suis toujours là pour elle, malgré la distance qui nous sépare.